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Passage au Conseil

La conscription, créée par le Directoire, a disparu au cours des années 60. Le "passage au Conseil", c’était donc une visite médicale destinée à vérifier l’aptitude physique des jeunes gens de 18 ans en vue de leur incorporation dans l’armée française. Cette vérification était effectuée chaque automne à la Mairie du chef-lieu de canton.

Longtemps, les futurs soldats furent contraints à se présenter nus devant les autorités civiles et militaires, les médecins et plusieurs gendarmes, et cette nudité ne contribuait guère à l’affirmation de leur personnalité, d’autant qu’ils étaient "visités" l’un après l’autre et que certains attoucheurs ne se privaient pas de claquer des baffes sur les fesses rebondies. D’ailleurs, l’autorité militaire avait décidé, pendant les dernières années, de tolérer le port du slip.

En fait, vous l’avez compris, la fête était ailleurs : dans notre village - et les autres -, le passage au conseil de révision marquait la fin de l’adolescence, une initiation au passage vers le monde des adultes et cette mue juvénile était célébrée par les intéressés - qui s’étaient rhabillés, bien sûr - au cours d’une folle semaine de réjouissances et de tintamarres dont les échos résonnaient à toute volée du centre du village jusqu’au fin fond de nos campagnes.

Pendant une semaine, ces jeunes gens étaient libres et libérés. En effet, cette tradition était scrupuleusement respectée par leurs parents et la population dans son ensemble, et les quelques malotrus réfractaires, en se singularisant, ne faisaient que la confirmer.

Ainsi, chaque journée de cette période commençait au milieu de l’après-midi par un rassemblement bruyant et coloré au centre du village. Les acteurs s’accoutraient souvent de vêtements et d’accessoires extravagants, mais chacun portait, au moins les premiers jours, une cocarde tricolore accrochée à la poitrine : C’était le signe du conscrit.

Plusieurs autres instruments s’avéraient indispensables pour l’identification du groupe : Tambours, clairons, bigophones, drapeau tricolore et grosse-caisse.

Une fois rassemblés, la vingtaine de "galavards" arrêtait l’itinéraire de la journée et c’était le départ de la troupe dans une cacophonie indescriptible, mais retentissante.

Pendant les deux premières heures, le groupe s’annonçait dans le village et ses faubourgs. Ce n’était pas "sans tambours ni trompettes " ! Lorsque les poumons d’un conscrit venaient à faiblir, le clairon changeait de mains et les sonneries reprenaient de plus belle, déchiquetées, mais puissamment poussées par des poumons revigorés et ponctués par les roulements de tambours et les chocs impressionnants de la grosse-caisse. Bref, le résultat provoquait un douloureux déchirement des tympans, mais le but était atteint : la troupe préférait la puissance du son à la délicatesse de sa mélodie.

En les entendant arriver, les enfants étaient pris de panique et il valait mieux faire demi-tour si, par malheur, notre chemin croisait le leur. Ils étaient les maîtres du moment...

Puis venait le crépuscule. Les gens rentraient chez eux, les filles, dont la curiosité était plus forte que la crainte, se cachaient dans la pénombre pour ne pas manquer cette explosion de virile jeunesse et il arrivait parfois qu’un "galavard" lâche un instant son bigophone pour se livrer dans l’ombre à quelque innocente privauté qui se terminait toujours par une fuite éperdue et gloussante de rires étouffés.

Enfin venaient la soirée et la nuit, le moment où, après quelques haltes hospitalières en rafraîchissements, les conscrits étaient à point pour battre la campagne où d’autres étapes aussi généreuses les attendaient, prévenues par leur approche tout aussi sonore.

Chaque année, le lot comprenait toujours quelques "maufauras" imaginatifs en "marrid tour". C’est ainsi qu’au petit matin, la place du marché ou celle du Cours prenait un aspect insolite par un encombrement indescriptible de tombereaux, de charrettes, de pots de fleurs et autres objets hétéroclites transportés là pendant la nuit.

Pendant ce temps, les conscrits dormaient d’un sommeil nécessairement réparateur, rêvant à leurs exploits et aux gallinacés libérés de leur poulailler et égaillés à travers la campagne dans un concert de caquètements indignés. Il manquait souvent une ou deux poules lors de leur récupération par le propriétaire, mais bougre, il fallait que les futurs soldats assurent le menu gratuit du festin final, au bout de la semaine...

C’était un autre temps... Pourrait-on imaginer, de nos jours, de telles incursions dans les mas des campagnes ?...

Un mot n’existait pas à cette époque dans le vocabulaire quotidien. C’était le mot "convivialité", et pourtant...


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