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B. Vie des cours d’eau
Un fleuve : le Rhône

Né au coeur du glacier supérieur de la Furka, au flanc du massif du St Gothard dans le Valais Suisse, il est à ses débuts un torrent impétueux nourri par plus de 260 glaciers, évoluant sur un bassin de 8 000 km2 où son débit va être multiplié par dix, dévalant à une allure vertigineuse les raides pentes sur les 150 km qui le séparent de l’embouchure du lac Léman.

Là, il se calme, creuse un delta lacustre pour y déposer tout ce qu’il a arraché de force dans les torrents alpins et, alors apaisé et purifié, il s’échappe à Genève vers la France, après avoir reçu un autre redoutable torrent alpin : l’Arve, puis franchi la montagne de Vuache en Savoie et le grand Credo du Jura.

Rejoignant Lyon, Valence, en recevant dans ce parcours de nombreuses rivières, puis Avignon, Barbentane où il reçoit la Durance, le Gardon, il arrive à Arles, avant de se jeter dans la Méditerranée et d’avoir ainsi parcouru 812 km, façonné son cours en même temps que les chemins puis routes empruntés depuis que l’homme existe.

Quant à ses eaux, les navigateurs des temps les plus reculés jusqu’à aujourd’hui s’y sont aventurés pour transporter leurs marchandises et voyager à leurs risques et périls mais surtout en faire une voie commerciale et stratégique mondiale.

Les habitants qui le côtoient savent qu’il apporte l’eau si précieuse à la vie pour leur consommation ou celle de leurs animaux et récoltes. Ils savent aussi qu’il prend un malin plaisir à se mêler de leurs affaires parfois malencontreusement lorsqu’il vient grignoter un bras mort ou faire disparaître une île flottante en distrayant ou redistribuant à sa discrétion terres et ouvrages qui changent ainsi de villages, de départements et de propriétaires (voir le procès de la Sainteté).

Il est aussi l’auteur de l’enrichissement des sols qui le bordent par les tonnes d’alluvions qu’il leur apporte gracieusement chaque année.

Mais ce que les riverains redoutent le plus, ce sont ses colères lorsque, chargé par des orages brutaux ou nombreux, il ne peut que sortir de son lit et s’épandre aux alentours. A maintes reprises au fil des siècles, il est alors d’une humeur redoutable, causant d’innombrables dommages aux ouvrages riverains, obstacles insupportables qui s’opposent à sa force et à son énergie. Le Pont St Bénézet d’Avignon, construit de 1177 à 1192, a vu 19 de ses 23 arches emportées par le fleuve lors de la crue de 1669.

Cette autoroute bleue a permis au port d’Arles de traiter en 1998 plus de 541 640 tonnes de fret et 2 460 000 tonnes pour Port St Louis et Fos. Même s’il a raté son rendez-vous avec le Rhin, la navigation des transports de matériaux ou touristique sur son parcours ne faiblit pas grâce aux barrages, écluses et aménagements divers destinés à l’endiguer, le dompter.

Mais, aujourd’hui enserré entre usines hydroélectriques, chimiques, nucléaires, gravières, routes et ponts, autoroutes et voies ferrées, digues, il est au fil des pollutions devenu un monstre redouté parce que méconnu. Ses eaux n’ont plus la même qualité et il ne pourra retrouver l’hommage des hommes que quand ces derniers lui auront redonner sa place naturelle parmi eux en arrêtant de le souiller, de l’enfermer, de vouloir dominer ce seigneur que la nature leur a offert.

Une rivière : la Durance

Ce troisième fléau de Provence après le Mistral et le Parlement d’Aix, prend sa source au Montgenèvre à 2 300 m d’altitude pour dérouler son lit sur 320 km et constituer, après la Saône, le plus important bassin affluent du Rhône dans lequel elle se jette à Barbentane. Véritable torrent alpestre dans sa partie haute, elle est le grand cours d’eau des Alpes du Sud avec son principal affluent, le Verdon et s’enfonce au voisinage de Briançon dans une gorge impressionnante pour terminer sa course montagnarde au dôme de Gap puis dans le lac-réservoir de Serre-Ponçon. Avec un débit moyen de 180 m3/sec, dont la plus grande partie est retenue pour les ouvrages EDF, elle suit les étroits défilés de Sisteron et Mirabeau, s’étale dans un lit démesurément large pour achever sa course à Barbentane, dans le Rhône, qui subit, plus souvent qu’il ne faudrait, ses crues capricieuses et dévastatrices.

Á la fin du XVIe siècle l’ingénieur salonnais Adam de Craponne est l’initiateur du canal de Craponne qui en 1567 irrigue la plaine de Salon, en 1582 la plaine d’Arles. Puis en 1955, l’édification du lac de Serre Ponçon sur 3 000 ha retenant 1 271 millions de m3 dont 200 sont réservés aux usages agricoles durant l’été et le reste est détourné vers l’étang de Berre. La Durance perd alors sa fonction hydraulique d’origine et devient source de limonage mortel pour l’étang : une énorme « couillonnade » technocratique locale, régionale et nationale.
Jusqu’en décembre 2006 où, à la suite du travail des militants et habitants de notre région, dont le DDARD, qui ont alerté, expliqué, pétitionné, proposé..., l’Union Européenne a enfin entendu l’appel et sanctionne fortement l’Etat incapable de mesurer l’énormité de ses erreurs. Les solutions de lissage préconisées par le GIPREB (Groupement d’Intérêt Public pour la Réhabilitation de l’Étang de Berre) pour mettre un terme aux rejets dans l’étang, n’ont pas été à la hauteur des problèmes et sont définitivement disqualifiées (voir articles DDARD : Étang de Berre ou Menace des limons). Notre Durance va enfin retrouver sa place naturelle dans le paysage hydraulique local et l’Étang de Berre reprendre vie, grâce à la fin de l’écoulement détourné de la Durance. Les lâchers d’eau de barrages sont rendus obligatoires pour pousser limons et surtout galets vers le confluent et il faut espérer qu’un jour proche, la quasi-totalité des eaux reprendront leur cours dans le lit normal et habituel de la rivière longeant soixante-dix-huit communes riveraines depuis La Bréole à Barbentane.
Cela aura plusieurs conséquences « oubliées » par le GIPREB, le SMAVD et ses tutelles municipales :
* Le lit du cours d’eau va retrouver son niveau, sa végétation, ses animaux, ses oiseaux, ses poissons, ses pêcheurs...
* Les limons déposés depuis des années par des eaux dormantes vont pouvoir, sous l’effet du courant, poursuivre leur trajet vers la mer.
* L’eau vive va alimenter à nouveau les nappes phréatiques en évitant de boucher les souilles et en poussant les impuretés industrielles (espoir !) vers le large.
* Notre plan d’eau va se régénérer en limitant algues et eutrophisation grâce au volume et courant d’eau retrouvés.
* L’étang de Berre va redevenir un étang vivant lui aussi avec son petit monde animal, végétal et humain qu’un ouvrage magnifiant le progrès avait décidé d’anéantir.
* La Camargue va recevoir à nouveau les limons lui permettant son comblement naturel et, retrouvant un meilleur niveau, lui éviter peut-être de rejoindre prématurément les fonds marins.

Des crues calamiteuses, dame Durance ne manquera peut-être pas d’en produire. L’excès d’eau des pluies et les inondations ne seront pas réglés par ce changement :
- La CNR va recueillir les limons au confluent sans intention d’entamer ses bénéfices. Elle préfère draguer ses actionnaires plutôt que le lit du fleuve, et ne pas réaliser des coulées vertes arborées sur les pistes et aux abords des canaux bordant le lit pour que les animaux, oiseaux, végétaux, insectes, champignons..., retrouvent un espace naturel !
- Le SMAVD va être obligé de revoir sa copie et d’accompagner ces changements, mais il ne va rien changer à la hausse des endiguements sensés protéger les milliers de riverains qu’on a laissé construire dans les innombrables lotissements aujourd’hui pieds dans l’eau. Chaque montée de digues sans ouverture de bassins d’expansion, c’est l’inondation assurée pour tous et plus particulièrement pour les villages en aval ! On joue un drôle de jeu dans ces instances…

La nature reprend enfin un peu sa place dans la région Provence, sans doute insuffisamment pour éviter de prochaines calamités.

En 1970, se construit le canal de Provence captant les eaux du Verdon pour irriguer la Provence orientale et côtière. Propriété de l’Etat, il est transféré à la Région PACA depuis décembre 2008.

En 1977, EDF achève la construction d’un ensemble de quinze usines sur 163 km de Durance ainsi canalisée pour fournir la part essentielle des eaux agricoles, urbaines et industrielles, facteur essentiel du développement économique de la région. Sans parler des carrières alors nombreuses sur son parcours et des limons déversés allègrement dans son lit.

La vallée de la Durance constitue un espace naturel riche en diversité, mais constamment menacé par ces activités.

En effet, sur le territoire s’étendant entre Sisteron et Avignon, on compte aujourd’hui près de 6 500 espèces animales, 43 espèces de libellules, 180 espèces ripicoles (des berges) comme des petits coléoptères, des araignées..., 1 200 espèces de papillons, une vingtaine d’espèces de fourmis, plus d’une centaine d’espèces d’hétéroptères (punaises), 120 insectes aquatiques, 310 espèces de vertébrés, 240 espèces d’oiseaux mais des poissons de moins en moins nombreux qu’autrefois et dont la diversité s’est réduite. De même, il existe actuellement plus de 250 espèces de plantes, mais les tulipes d’Agen ont disparu car elles ne résistent pas aux désherbants. Toutes ces espèces sont menacées et la flore connaît une diminution générale de 10 à 25 % suivant les secteurs. La rupture dans l’écoulement naturel de ses eaux, dans leur qualité, dans l’équilibre saisonnier de ses niveaux, perturbent complètement la vie de la rivière.

Maîtrisée, endiguée, domestiquée, la Durance semble donc apprivoisée jusqu’au moment où, comme tout cours d’eau recevant des pluies torrentielles, elle n’a d’autres choix que de submerger les digues, renverser les obstacles qui s’opposent à son passage. Elle redevient alors une force naturelle difficile à contenir. Gare alors à ceux qui ont commis l’imprudence de contrarier son cours ou oublier que sa richesse biologique peut être la source du bonheur des hommes s’ils savent bien la comprendre ou leur malheur s’ils souhaitent seulement s’en protéger et s’en servir.

Puis au bout : la Méditerranée

Cette immense mer intérieure qui a rapproché tous les peuples et territoires qu’elle borde, est directement concernée par l’état des eaux qui la nourrissent. Alors que le réchauffement du globe provoque un hausse d’un millimètre par an du niveau des océans depuis un siècle, la Méditerranée a suivi cette tendance jusqu’en 1960. Depuis, contrairement à tous les pronostics, le niveau de cette mer baisse de un à trois millimètres par an.

En physique, on apprend que l’eau salée est plus dense, c’est à dire qu’elle occupe un volume moins important qu’une eau pure. C’est ce phénomène inquiétant qui explique la baisse de son niveau. Inquiétant parce que l’augmentation de la salinité est due à une réduction de l’apport en eau douce (précipitations moins fréquentes et plus polluées, barrages de retenue limitant les apports des cours d’eau...) et à la qualité douteuse des eaux des cours d’eau tels le Rhône et la Durance (où se déversent de nombreuses industries chimiques, et toutes les pollutions domestiques, eaux usées et agricoles, salage des rues et routes contre la neige...) et les agressions quotidiennes des utilisateurs maritimes.

Ce réservoir d’eau, source de vie, est maltraité, comme beaucoup d’autres milieux aquatiques, au point de développer de curieuses algues vertes, signe d’une profonde dégradation de son équilibre et de sa santé. Chaque fois que nous accroissons la pollution, nous détériorons nos fleuves, nos mers, nos océans, notre vie.

L’eau, c’est 75 % du corps d’un bébé et 55 % de celui d’un homme âgé, c’est aussi 3/4 de la surface du globe dont 97 % est salée.

Sur les chemins de l’eau

Le village qui vit près du fleuve voit sa population faire un avec lui : elle travaille à ses côtés, joue avec lui, s’en nourrit, s’en inquiète et s’en protège, en subit les sautes d’humeur et les colères, connaît ses besoins, excès, flux et reflux, tente de l’apprivoiser, apprend à vivre avec, à le respecter comme un être vivant, à anticiper les risques..., bref il est étroitement associé à l’existence quotidienne des gens, au point d’avoir marqué des générations, impressionnées par ce voisin puissant et parfois violent. Les anciens nourrissaient la mémoire de ses actes passés pour éviter que les générations suivantes ne commettent l’erreur de l’oublier. Mais qui aujourd’hui s’en soucie ?

Qui n’a pas entendu la corne de brume d’un bâteau remontant le Rhône dans le brouillard, ne peut pas comprendre l’angoisse qui gagne devant ce rappel du risque du fleuve qui a tant de fois frappé les hommes.

Qui n’a pas été obligé de descendre du grenier par une corde pour rejoindre le village en barque, ne peut pas comprendre le désarroi des inondés devant cette irruption brutale de l’eau dans leur vie et maison.

Beaucoup n’admettent pas la difficulté de vivre sur ses rives, ne supportent pas ses caprices et humeurs, ses colères. D’autres pourtant l’acceptent, laissent passer ses violences pour, aussitôt le calme revenu, reconstruire en attendant la prochaine vague.

Il faut comprendre que ce n’est pas de la fatalité, c’est de la compréhension. Ce n’est pas non plus de la soumission, c’est de l’amour, celui d’être accepté pour le meilleur ou pour le pire. Les chemins de l’eau font alors partie de la vie des hommes.

Le temps n’est pas si loin où les dieux aquatiques étaient respectés et adorés. On préfère aujourd’hui ceux de la technique qui quelquefois nous le rendent aussi mal.

Alors, comme autrefois on tentait de satisfaire les dieux des eaux en sacrifiant quelques victimes expiatoires pour calmer leur courroux, on s’agenouille à présent devant les ingénieurs, qui nous assurent "que tout est prévu", en leur demandant encore plus de techniques protectrices et coûteuses, jusqu’au prochain grave dysfonctionnement.

Et ce d’autant plus fort que la mémoire des anciens, des lieux, des risques a été perdue et que l’on confond protection avec digue, ruisseau avec fleuve, écopage avec barrage, plaine inondable avec construction, chemin de l’eau avec zone à urbaniser...

Nos élus souhaitent vendre des territoires ensoleillés en minimisant les réalités hydrauliques. Les nouveaux venus ignorent en général les risques encourus. Attirer les entreprises et les constructeurs est devenu un acte municipal d’excellence, mais le principe de précaution ou la simple prudence, sont préfèrables au mensonge par omission. Car, le passé récent démontre dans ce domaine une gravité dramatique en conséquences humaines. Les déséquilibres ainsi accrus vont devoir se payer au centuple.


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